Les peuples des Congos à l'honneur au festival de Douarnenez

Créé en 1978, le festival de Douarnenez dans le Finistère entame ce 17 août sa 41e édition. Pour cette occasion paraît un ouvrage sur les quarante premières années d'un événement qui s’est fait l’écho de bien des questionnements et des luttes de la Bretagne et du monde.
Créé en 1978, le festival de Douarnenez dans le Finistère entame ce 17 août sa 41e édition. Pour cette occasion paraît un ouvrage sur les quarante premières années d'un événement qui s’est fait l’écho de bien des questionnements et des luttes de la Bretagne et du monde.

C’est avec « les Gras » - le carnaval de février - l'un des deux temps forts de cette ville de 14 000 habitants, à l'atmosphère si singulière. Ouvert sur la baie qui porte son nom, fidèle à son passé ouvrier, l’ancien port sardinier a en effet misé davantage sur la culture et la vie associative que sur le tourisme de masse. Au fil du temps, les représentants du 7e art y sont devenus assez nombreux pour que se crée l’an dernier un collectif local de professionnels du cinéma indépendant.

Congos d’hier et d’aujourd’hui

Né au plus fort de la lutte contre l'installation de la centrale nucléaire du Plogoff, en pleine renaissance de la culture bretonne et dans l’effervescence politique du tiers-mondisme, ce rendez-vous d’été s’appelle à l’origine le Festival des minorités nationales. Son nom est aujourd’hui plus sobre : Festival du cinéma de Douarnenez - Gouel ar filmoù en breton. Mais l'esprit est resté le même. Il s’agit de penser la diversité et la fragilité de notre humanité depuis une région qui s’est beaucoup battue pour préserver ses spécificités et sa langue, sans rien céder de son ouverture au monde.

La programmation nous invite cette année à traverser l’histoire du Congo-Brazzaville et du Congo-Kinshasa. On y croisera bien sûr les incontournables du cinéma européen sur la question, du magnifique portrait de Patrice Lumumba par Raoul Peck aux documentaires inspirés de Thierry Michel, en passant par les œuvres du belge Samuel Tilman ou du portugais Hugo Vieira da Silva. Mais ce sera surtout une occasion unique de découvrir la jeune création venue d’Afrique centrale, à travers, par exemple, des focus sur Ori-Huchi Kozia (prix Orisha 2017), Dieudo Hamadi, Bob Nelson Makengo, Sammy Baloji ou Mweze Ngangura. Un hommage sera aussi rendu au photographe Kiripi Katembo, décédé en 2015 à l’âge de 36 ans.

L’histoire coloniale de ces deux pays, aussi tragique que méconnue du grand public, sera amplement abordée, tout comme les conflits meurtriers qui ensanglantent la République démocratique du Congo depuis plusieurs décennies. Les réalisateurs invités y croiseront des noms importants de la littérature contemporaine tels que Sinzo Aanza et In Koli Jean Bofane. L’œuvre immense du regretté Sony Labou Tansi fera enfin l’objet d’une séance spéciale.

Identités heureuses

Une autre spécificité du festival est sa fidélité sans faille à la production régionale. Parmi les films présentés dans cette catégorie, on citera le documentaire Bienvenue Mister Chang.Trente-cinq ans après leur arrivée dans un petit village du Morbihan, Laëtitia Gaudin-Le Puil revient interroger les parents de son amie d’enfance, d’origine laotienne. Évoquons encore la projection de deux films consacrés à l’océanographe et photographe Anita Conti, qui a choisi de finir sa vie à Douarnenez où elle est décédée en 1997.

Depuis dix ans, le Festival fait aussi un travail unique en France et en Europe pour l’ouverture de sa programmation aux sourds et malentendants. Grâce à une équipe d’une vingtaine d’interprètes, la presque totalité des projections et des débats leur est désormais accessible. Ajoutons à cela qu’une partie de la programmation et des rencontres leur sont spécifiquement dédiées, une occasion aussi de découvrir la richesse des nombreuses langues des signes et l’univers d’une minorité si souvent négligée.

Pour explorer méthodiquement ses grands thèmes de l’année, l’équipe du Festival n’a pas pour autant renoncé à une curiosité panoramique. « La grande Tribu » est donc là pour répondre aux coups de cœur les plus divers. Grâce à cette sélection, on pourra aussi bien partir dans la Creuse pour assister au Grand Bal de Laetitia Carton ou suivre Les Filles du feude Stéphane Breton, les combattantes kurdes qui luttent contre l’État islamique. Notons enfin que le festival programme trois courts métrages autour du thème « Black lives matter », dont le documentaire Like dolls I’ll rise de Nora Philippe, commissaire de l’exposition « Black Dolls » à la Maison Rouge à Paris.

Caroline Troin et la mémoire du festival

Caroline Troin est aujourd’hui la directrice de Rhizomes, une association qui accueille des écrivain.e.s du monde entier en résidence et organise des expositions, un festival, des rencontres. Pendant vingt ans, elle a aussi codirigé le Festival avec l’un de ses cofondateurs, Erwan Moalic.

Elle revient aujourd’hui avec l’écrivain et documentariste Gérard Alle sur l’histoire de cette institution locale avec un beau livre paru chez l’éditeur breton Locus Solus, Les yeux grands ouverts. Douarnenez, 40 ans de cinéma et de diversité. Le livre sera présenté durant le festival avec la projection du film de Frank Beyer, Les Identités au pied du mur.

Toujours avec Rhizomes, Caroline Troin a aussi constitué une banque de données de quelques 750 films documentaires librement accessibles en ligne, souvent accompagnés d’interviews des réalisatrices et réalisateurs, un fonds patrimonial en lien étroit avec l’histoire du festival qui permettra aux nouveaux.elles venu.e.s de remonter le temps et de refaire ainsi quelques-uns des voyages effectués en quarante-et-un ans d’exploration du monde.

41e Festival de cinéma de Douarnenez, « Peuples des Congos » du 17 au 25 août 2018. Films, débats, expos, concerts.