Égypte : cinq ans après Morsi, l’économie va mieux… et la répression se porte bien

Cinq ans après la destitution de Mohamed Morsi, l’économie égyptienne retrouve des couleurs. Mais à quel prix ? Ces indicateurs au vert cachent des atteintes aux droits de l'Homme et un mécontentement croissant au sein de la population.
Cinq ans après la destitution de Mohamed Morsi, l’économie égyptienne retrouve des couleurs. Mais à quel prix ? Ces indicateurs au vert cachent des atteintes aux droits de l'Homme et un mécontentement croissant au sein de la population.

Après la révolution de 2011 qui a précipité l’économie égyptienne dans une spirale descendante et le pays dans un avenir politique incertain, la communauté internationale a fait un calcul : la stabilité prévaut sur les droits de l’Homme.

Lorsque le général Abdel Fattah al-Sissi, alors chef des armées, chasse Morsi du pouvoir le 3 juillet 2013, l’économie égyptienne est en chute libre. La croissance plafonne alors à 2 % par an, l’inflation est à deux chiffres et le taux de chômage pointe à 13 %. Les réserves de change tombent en dessous de 17 milliards de dollars.

Élu l’année suivante, Sissi cherche rapidement à consolider les finances du pays en prenant contact avec les pays étrangers pour injecter de l’argent. Et Sissi obtient gain de cause. À peine élu, le Koweit, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis annoncent un programme d'aide. De plus, en 2016, l'Égypte obtient un prêt de 12 milliards de dollars du Fonds monétaire international (FMI).

Mais ce prêt n’est pas sans conditions et pour les respecter, le gouvernement prend des mesures qui touchent de plein fouet les classes moyennes et inférieures : réduction des subventions, renflouement de la livre égyptienne, création d’une nouvelle taxe sur la valeur ajoutée... Ces mesures ont de graves répercussions. En 2017, l'inflation oscillait souvent au-dessus de 30 %. Cette année, le prix de l'eau potable a augmenté de 45 %, celui de l'électricité d'environ 26 % et le métro du Caire coûte désormais 300 % plus cher.

"La voie de la vraie réfome est difficile et cruelle et engendre beaucoup de souffrance”, a, lui-même, reconnu Sissi dans son discours télévisé le 30 juin, à l’occasion du cinquième anniversaire de l’éviction de Morsi. "Mais il ne fait pas de doute que la souffrance engendrée par le manque de réformes est bien pire”.

Signe de la dureté de la situation pour les Égyptiens : malgré les procès de masse, l'emprisonnement des journalistes et des blogueurs et la répression sévère de toute dissidence, les gens se tournent vers les réseaux sociaux pour exprimer leur colère et leur frustration. Ainsi, après l'annonce récente de réductions des subventions pour le carburant et pour l'électricité,le hashtag #Sisi_leave a été tweeté des centaines de milliers de fois au cours des dernières semaines.

Pourtant, les mesures d'austérité commencent à porter leurs fruits. L'économie croît maintenant à un rythme de 5,4 %, l'inflation a chuté à pratiquement 11 % en mai, le chômage est à son plus bas depuis huit ans et les réserves de change du pays ont atteint 44 milliards de dollars.

Par ailleurs, l'industrie du tourisme, décimée, reprend de la vigueur. Or ce secteur est essentiel en Égypte.Les nations et les sociétés étrangères investissent également (accord avec Siemens AG pour la construction de centrales à gaz et éoliennes, contrat avec la société nucléaire russe Rosatom pour construire une centrale nucléaire en Égypte...).

Soixante mille personnes arrêtées en cinq ans

Mais derrière ces indicateurs de bon augure sur le plan économique, la réalité est tout autre concernant les droits de l'Homme. "La réalité est que pour la plupart des gouvernements qui traitent avec l’Égypte, la question des droits de l’Homme dans le pays est loin d’être une priorité", explique Timothy Kaldas, chercheur au Tahrir Institute for Middle East Policy (TIMEP) basé à Washington, DC.

Pour les Européens, l’immigration est une énorme priorité, et, dans une certaine mesure, ils voient la stabilité économique de l’Égypte comme essentielle pour éviter qu’un grand nombre d’Égyptiens viennent en Europe", estime pour sa part Timothy Kaldas.

Selon Human Rights Watch, au cours des cinq dernières années, les autorités ont arrêté ou inculpé environ 60 000 personnes et le pays a dû construire près de 20 prisons. La communauté internationale ferme largement les yeux."C'est le nouvel environnement qui prévaut, en particulier dans le contexte de la 'guerre contre le terrorisme' de l'Égypte", analyse Hisham Al-Zoubeir Hellyer, chercheur pour le think tank américain Atlantic Council et think tank britannique Royal United Services Institute à Londres.

Les ONG internationales, elles, condamnent sans relâche les incarcérations sans fin et les procès de masse. Le 29 juin, Amnesty International a ainsi qualifié de "parodie grotesque de justice" le procès en cours de 739 personnes. De nombreux prévenus ont été arrêtés alors qu’ils manifestaient pacifiquement. Un photographe connu sous le nom de Shawkan, se trouvait simplement au mauvais endroit, au mauvais moment.

Et la répression pourrait encore s'aggraver. Les législateurs ont approuvé en première lecture un projet de loi instaurant que toute personne avec plus de 5 000 followers sur les réseaux sociaux soit placée sous la supervision du tout nouveau conseil suprême pour la régulation des médias. Or, avec des médias entravés, plus de 500 sites internet bloqués et des manifestations interdites, Twitter et Facebook sont parmi les derniers forums où le débat public peut avoir lieu.