Architecture : le Grand Paris s’exporte à Venise

L’agence parisienne Encore Heureux représente la France à la biennale internationale d’architecture de Venise ouverte ce week-end. Le trio d’architectes a choisi d’y présenter des lieux collaboratifs de Paris et de la Petite couronne.
L’agence parisienne Encore Heureux représente la France à la biennale internationale d’architecture de Venise ouverte ce week-end. Le trio d’architectes a choisi d’y présenter des lieux collaboratifs de Paris et de la Petite couronne.

Les Ateliers Médicis, à Clichy-sous-Bois/Montfermeil, la Ferme du bonheur à Nanterre, le 6B à Saint-Denis, le 104 et les Grands Voisins à Paris… L’architecture grand parisienne s’exporte à Venise, à l’occasion de la 16e biennale internationale d’architecture. Une certaine architecture en tout cas, innovante et qui laisse place à l’expérimentation citoyenne et collaborative.

« Avec la crise économique, la crise écologique, les flux migratoires, les enjeux sont ailleurs. L’architecture a un rôle social à jouer, faire de l’architecture savante, aussi élégante soit elle, ne nous suffit pas », résumait juste avant son départ pour Venise, Julien Choppin co-fondateur d’Encore Heureux, en 2001 avec Nicolas Delon. Il y a deux ans, ils ont été rejoints par un troisième homme, Sébastien Eymard.

Dix «lieux infinis» présentés

On leur doit notamment l’exposition Matière Grise au pavillon de l’Arsenal à Paris en 2014, le pavillon circulaire de la Cop 21 au Bourget, en 2015, et encore le site éphémère des Ateliers Médicis à Clichy-sous-Bois/Montfermeil qui va ouvrir en juin (lire ci-dessous). Leur crédo, « construire des lieux plus que des bâtiments », a séduit le jury d’experts d’architecture et de représentants des ministères de la Culture et des affaires étrangères, qui devait choisir parmi 21 projets en lice. En septembre dernier, les trois quadras au look de rockeurs ont appris qu’ils seraient les commissaires du pavillon tricolore, pour représenter l’architecture française. Rien que ça !

Ils ont choisi de décliner la thématique « free space » par dix « lieux infinis » (cinq en Ile-de-France, cinq en province), « qui expérimentent à l’échelle réelle de nouveaux modes de vie », disent les architectes. Il s’agit de sites qu’ils connaissent bien parce qu’ils y ont travaillé ou bien parce qu’ils ont des affinités avec les porteurs de projets, comme Julien Beller, architecte du 6 B, d’ancien bureaux reconvertis en îlot artistique à Saint-Denis.

Une architecture en construction «à petits pas»

Qu’ils aient déjà vingt ans, ou qu’ils soient en train de naître, comme les Ateliers Médicis de Clichy-Montfermeil, tous ces lieux partagent la vision d’une architecture en construction, « à petit pas », ajoute Sébastien Eymard. « Parfois il faut reculer, prendre le temps de revenir en arrière et faire avec les gens, par connivence et en confiance », ajoute-t-il en faisant référence au 104, fabrique culturelle installée dans les locaux des anciennes pompes funèbres, rue Curial à Paris, ou bien les Grands Voisins, ce quartier temporaire déployé dans une ancienne maternité, également à Paris.

Un cabinet de curiosités

« Cela va bien au delà de l’architecture, c’est tout à fait porteur de sens, y compris pour notre réflexion en tant que société », réagit Pierre Bulher, président de l’Institut Français, époustouflé cette semaine par sa première visite du pavillon français. Tous ces lieux sont représentés à Venise par des maquettes au 1/50e, à une station de vaporeto de l’Arsenal, entre les pavillons allemand, anglais et tchèque. Des écrans vidéos donnent à voir ce qui s’y fait. Un cabinet de curiosités retrace aussi l’histoire de ces lieux, à travers des objets symboliques. Et enfin, un atlas permet de recenser des lieux similaires à travers le monde. Les français participent aussi à la création d’un nouveau lieu « infini », sur place, dans une ancienne caserne vénitienne du XVIe siècle. « On devrait être capable d’avoir cette démarche aussi pour le logement par exemple, en se disant que l’usage va dicter le bâtiment plus qu’une programmation pré-établie », estime Sébastien Eymard. Si vous souhaitez découvrir le Grand Paris à Venise... la biennale se tient jusqu’au 25 novembre.

Les Ateliers Médicis, un lieu d’échanges

Avec son toit de toile rouge, il est visible du ciel et de presque tout le quartier. « On a voulu que ce soit une balise urbaine et un point de repère local », expliquent les architectes d’Encore Heureux, concepteurs du premier vrai lieu des Ateliers Médicis, sur le point d’ouvrir le 7 juin prochain. Un bâtiment provisoire, perché sur les hauteurs de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil, là où 56 000 habitants vivent dans des barres - le plus important programme de rénovation urbaine - à quelques pas de la station du futur métro, tant attendu pour 2024.

Sur un peu moins de 1 000 m², l’équipement comprend une salle de 80 places assises, des espaces dédiés aux ateliers et à l’accueil des publics. Les Ateliers Médicis se veulent un lieu de création et de partage avec les habitants. Un lieu de culture et d’échanges entre les citoyens et les intervenants, des architectes, urbanistes, plasticiens, auteurs, dessinateurs, artistes… Cent cinquante d’entre eux ont déjà travaillé avec les Ateliers depuis deux ans dans différents espaces mis à disposition entre Clichy et Montfermeil, en attendant une vraie adresse.

A l’origine des Ateliers Médicis, une volonté locale. Après les émeutes de 2005, le maire de Clichy-sous-Bois de l’époque, Claude Dilain (PS) et son ami journaliste touche-à-tout, Jérôme Bouvier, ainsi que Xavier Lemoine maire de Montfermeil (DVD) ont imaginé que la renaissance de leurs villes passerait par la culture, avec un grand C. Un lieu où l’on viendrait depuis Paris ou l’étranger. Après un livre réalisé avec des photographes de renoms (Clichy sans cliché, Delpire 2006), et un recueil de nouvelles chocs (Clichy Mot à mot, Textuel, 2008), est née l’idée d’ouvrir un lieu d’excellence. Un projet de jumelage a même un temps été rêvé avec la villa Medicis à Rome.

Le projet a emballé plusieurs ministres de la Culture, à commencer par Frédéric Mitterrand. Avant de devenir un emblème culturel du Grand Paris. Sans attendre 2024, année où doit être construit le bâtiment pérenne qui abritera les Ateliers en lieu et place d’une immense tour de béton récemment démolie, un bâtiment éphémère a donc été réalisé pour donner une adresse, une visiblité au projet. « C’est le premier petit pas », se réjouissent les architectes d’Encore Heureux, qui soulignent que ce lieu a la capacité de rester au-delà des sept ans s’il le fallait.

Un spectacle intitulé « Construire », réalisé par Stéphane Schoukroun, réunira sur scène des habitants des deux villes à l’occasion de l’inauguration du lieu le jeudi 7 juin.