Côte d'Ivoire : l’hypothèse “malsaine” d’un troisième mandat de Ouattara

Le président ivoirien a déclaré qu’il n’excluait pas de se représenter à nouveau en 2020, alors qu’il n’est pas établi que la constitution l’y autorise. Pour les médias locaux, “ce jeu de devinettes peut avoir des conséquences dramatiques pour le pays”, rapporte RFI dans sa revue de presse Afrique.
Le président ivoirien a déclaré qu’il n’excluait pas de se représenter à nouveau en 2020, alors qu’il n’est pas établi que la constitution l’y autorise. Pour les médias locaux, <em>“ce jeu de devinettes peut avoir des conséquences dramatiques pour le pays”</em>, rapporte <em><span class="caps">RFI</span></em> dans sa revue de presse Afrique.

Dans la dernière livraison de l’hebdomadaire Jeune Afrique, le président Alassane Ouattara a évoqué la présidentielle dans deux ans et déclaré qu’il n’excluait pas de briguer un troisième mandat. “La nouvelle Constitution m’autorise à faire deux mandats à partir de 2020. Je ne prendrai ma décision définitive qu’à ce moment-là, en fonction de la situation de la Côte d’Ivoire. La stabilité et la paix passent avant tout, y compris avant mes principes”, a déclaré le président ivoirien. [Selon lui, le changement de constitution de 2016 a remis tous les compteurs à zéro, et ses élections de 2010 et 2015 ne comptent pas.]

Aussitôt, coup de tonnerre dans le ciel politique ivoirien. L’opposition s’insurge. “Cette déclaration désormais ouverte n’est que pure provocation contre le peuple ivoirien. L’idée d’un troisième mandat, le chef de l’État actuel le sait, est anticonstitutionnelle, inacceptable et irréalisable en Côte d’Ivoire”, a déclaré le président d’Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (EDS), Georges Armand Ouégnin, cité par Le Monde Afrique. EDS est une coalition de l’opposition qui regroupe des partis politiques – dont le Front populaire ivoirien (FPI), la formation de l’ex-président Laurent Gbagbo – et des associations de la société civile. [La contestation de la victoire de Ouattara à la présidentielle de 2010 par Laurent Gbagbo avait débouché sur une crise politico-militaire de plusieurs mois faisant plus de 3 000 morts].

Une menace pour mettre fin à la bataille de succession ?

En fait, avance Le Monde Afrique“certains observateurs estiment que le président Ouattara utilise la ‘menace’ de se représenter pour faire taire les querelles internes nées de la guerre de succession qui a déjà commencé. Et en même temps, le président tente de transformer en parti la coalition au pouvoir (Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix, RHDP), afin d’organiser une primaire pour la présidentielle de 2020”.

Reste qu’on y perd son latin, comme le constate L’Inter, à Abidjan :

Qui croire ? À quoi accorder du crédit ? À gauche comme à droite. Tout le monde a raison. Personne n’a tort. […] Promesse d’alternance ou non ? On n’en sait rien. Troisième mandat ou pas ? Nous en sommes là. Ce jeu de devinettes. Malsain. Aux conséquences dramatiques. Et on avance. Vers cette autre échéance. 2020. Le cœur serré. L’horizon sombre.”

Le Conseil constitutionnel pour arbitre

Ce qui est sûr, d’après le juriste et analyste politique Geoffroy-Julien Kouao, interrogé par L’Inter, c’est que “seul le Conseil constitutionnel, au moment venu, est compétent pour dire qui peut être candidat ou non à l’élection présidentielle de 2020. Les deux instruments juridiques dont il dispose pour rendre ses décisions sont la Constitution et le Code électoral”.

Du côté du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), composante de la coalition présidentielle, on calme le jeu… L’un des vice-présidents du mouvement, Daniel Kablan Duncan, interpellé par un militant, a demandé de faire preuve de sérénité après la sortie du chef de l’État concernant la possibilité de sa troisième candidature. C’est ce que rapporte le site d’information ivoirien Linfodrome. “C’est une possibilité. Il n’a pas dit qu’il allait être candidat, a indiqué Daniel Kablan Duncan. Vous êtes trop pressés. Attendez de voir. Ne courez pas plus vite que vos pieds.”

“Dangereuse zone de turbulences”

En attendant, la presse, en Côte d’Ivoire et au-delà, se perd en conjectures… Notamment Le Pays, au Burkina, qui reprend et complète l’hypothèse énoncée par Le Monde Afrique, à savoir, pour Ouattara, faire taire les querelles internes à sa succession.

En effet, avance le quotidien ouagalais, “ADO [Alassane Dramane Ouattara] aurait laissé entrevoir la possibilité pour lui de briguer un troisième mandat pour tempérer les ardeurs des potentiels candidats à sa succession au sein du RHDP. Cette lecture tient d’autant plus la route qu’au sein de cette coalition les appétits présidentiels des uns et des autres sont tellement gargantuesques qu’ils peuvent, avant 2020, engager la Côte d’Ivoire dans une dangereuse zone de turbulences”.

“Lui coller une étiquette de dictateur”

“En faisant planer l’hypothèse d’un troisième mandat dans ce contexte, poursuit Le Paysil est fort probable qu’ADO cherche par-là à décrisper l’atmosphère au sein du RHDP de manière à y détecter le candidat à son goût, pour lui succéder en 2020 au palais de Cocody”.

Enfin, le site d’information ivoirien Le Point Sur retient de cette fameuse interviewd’Alassane Ouattara à Jeune Afrique tout autre chose que ses déclarations sur la présidentielle… À savoir, la réussite économique du pays : 50 % d’augmentation de la richesse nationale en six ans, un revenu par habitant qui a crû d’un tiers, le salaire minimum pratiquement doublé, celui des fonctionnaires revalorisé…

Bref, commente Le Point Sur, “à la lecture des propos d’Alassane Ouattara, il est évident que sa préoccupation ne se limite pas seulement à se cramponner au pouvoir. Il met si bien en avant sa volonté d’assurer un mieux-être à ses concitoyens que, nonobstant cette noble ambition qu’il a déjà réussi à matérialiser, ses détracteurs veulent lui coller une étiquette de dictateur”.