Colombie : comment Medellin veut chasser le fantôme de Pablo Escobar

Près de 25 ans après la mort du chef du cartel de Medellin, la ville colombienne lutte contre le narco-tourisme et l’image sulfureuse qui lui colle à la peau. Acte 1 : la destruction de la maison de la famille Escobar.
Près de 25 ans après la mort du chef du cartel de Medellin, la ville colombienne lutte contre le narco-tourisme et l’image sulfureuse qui lui colle à la peau. Acte 1 : la destruction de la maison de la famille Escobar.

Sa renommée a dépassé depuis bien longtemps les quartiers huppés du sud-ouest de Medellin… La résidence Mónaco est au cœur d’une bataille entre les partisans de sa destruction et les défenseurs de sa transformation en un site hommage aux victimes du narcotrafic.

En 1986, Pablo Escobar y avait élu domicile avec femme et enfants. Juan Pablo Escobar, devenu Sebastián Marroquín après la mort de son père, le fils du célébrissime capo, se souvient d’un « penthouse de 1800 m2 réparti entre le 6e et 7e étage. Les autres appartements étaient vides, à part un pour les gardes du corps et un autre où vivait un ami de mon père. »

Le 13 janvier 1988, peu après 5 heures, une charge de 80 kilos de dynamite réveillait en sursaut les habitants du très chic quartier Santa María de los Ángeles, dans le secteur d’El Poblado. « J’avais 11 ans. Nous nous en sommes sortis par miracle. Le plafond de notre chambre a explosé en mille morceaux. Le lit de ma sœur de 4 ans était jonché d’éclats de vitres et de matériaux divers, le cadre de la fenêtre à 3 cm de son visage. »

La fureur d’El Patrón, en constatant que le pacte tacite entre narcotrafiquants de non-agression des familles était brisé, eut pour conséquence une vague de violence au cours de laquelle les victimes collatérales n’avaient aucune d’importance.

Trente ans plus tard, la Colombie est devenue tendance. Les touristes du monde entier découvrent l’incroyable beauté de ce pays à la biodiversité la plus riche du monde au km2. 67 000 touristes français s’y sont rendus en 2017, soit 22 % de plus que l’année d’avant. Une génération a passé, mais les narcos fascinent plus que jamais les producteurs de cinéma et de séries. Des lignes de vêtements aux noms sans équivoque ont vu le jour. Et une douzaine de « narco tours » se sont montés à Medellin.

Sa tombe toujours fleurie

L’un d’eux se fait avec la collaboration de Roberto Escobar, 71 ans, le frère aîné du baron de la drogue. Dans sa jeunesse, « Osito » avait délaissé le cyclisme pour rejoindre son frère dans ses activités illicites. Sa peine de 27 ans de prison avait été revue à la baisse pour s’être soumis à une sentence anticipée.

Pour moins de 30 euros par personne, les badauds reluquent quelques souvenirs dans une maison de famille, admirent des caches insoupçonnables et écoutent religieusement les extravagances du chef. Le circuit inclut l’immeuble Mónaco, la tombe d’Escobar toujours fleurie au cimetière Montesacro et la maison de Roberto revisitée en musée. Tout est prévu, même l’achat de mugs ou de porte-clés en souvenir. Les paisas (NDLR : habitants de la région)ont le sens du commerce.

Medellin a pourtant bien changé. En 2013, elle a même été élue Ville innovante de l’année par le Wall Street journal… coiffant au poteau New York (Etats-Unis) et Tel Aviv (Israël). Progrès économique, innovation dans les transports, efforts sur l’environnement… Medellin a de quoi séduire avec notamment son métro où le civisme le dispute à la propreté.

Le metrocable, des bulles qui grimpent sur les contreforts de la cordillère centrale, a contribué à la baisse de la criminalité en désenclavant les comunas, des quartiers où la pauvreté le disputait à l’extrême violence.

Des bibliothèques contre la violence

La deuxième ville du pays par sa population - près de 3 millions d’habitants - s’enorgueillit de son industrie textile, son jardin botanique riche d’orchidées, ses fameuses bibliothèques construites au début des années 2000 pour lutter contre la violence grâce à l’accès à la culture, ses églises et ses parcs. Elle a aussi vu naître Fernando Botero, le sculpteur et peintre le plus célèbre d’Amérique latine.

Dans la « zone rose », les jeunes festoient bruyamment les fins de semaine. En toute insouciance. Et si le taux d’homicides a baissé dans le pays, celui de la Ville de l’éternel printemps est même légèrement en dessous de la moyenne nationale, avec un taux de 23 homicides pour 100 000 habitants en 2017*. Alors qu’il s’élève à plus du double à Cali, où il est toujours interdit de prendre un passager homme à moto pour des raisons de sécurité.

La villa d’Escobar est désormais une ruine

Après sa saisie, la résidence Mónaco est passée entre plusieurs mains, notamment des associations caritatives puis la police. Un nouveau cortège d’explosions a ravivé de tristes souvenirs dans le voisinage qui n’avait pas oublié les voitures aux vitres fumées des années 1980 et les patrouilles de taxis, la petite armée de renseignements du chef du cartel.

Le 4 avril, le maire, Federico Gutiérrez, s’est symboliquement saisi d’une masse pour porter le premier coup à l’édifice qui devrait être détruit avant la fin de l’année. A la place, il est prévu un parc en mémoire des victimes de la violence du narcotrafic. Réhabiliter la demeure coûterait plus de 10 millions d’euros selon la municipalité. La bâtisse luxueuse s’est muée en une ruine pillée plusieurs fois, jusqu’au sol en marbre et les murs éventrés pour y chercher des caletas (caches d’argent).

« Si l’on doit enlever les traces de Pablo Escobar, il va falloir détruire la moitié de la ville ! »

Mauricio Builes, journaliste et enseignant à l’université Eafit de Medellín travaille également au Centre national de mémoire historique de Bogota : « Je ne crois pas que la solution soit dans la destruction de bâtiments. Il faudrait d’abord savoir qui sont les victimes et combien il y en a eu. Il n’existe pas de base de données. Nous faisons ce travail avec les victimes du paramilitarisme, des Farc, mais pas avec celles du narcotrafic. Si l’on doit enlever les traces de Pablo Escobar, il va falloir détruire la moitié de la ville ! »

Pour Juan Pablo Escobar, rendre un bâtiment responsable des « narco tours » n’a pas de sens : « Avec la série Narcos, des millions de personnes veulent aujourd’hui connaître Medellín. Et Netflix n’a pas laissé une bonne image non plus. On pourrait démolir toute la ville que le monde entier n’oublierait pas que Pablo Escobar a fondé l’empire criminel le plus grand du XXe siècle. Ce bâtiment devrait être un musée à la mémoire du conflit narcoterroriste, pour que les victimes disposent d’un espace pour s’exprimer, pour se souvenir d’une époque que personne ne veut voir ressurgir. »

Avant de proposer : « J’offre gracieusement mes services d’architecte et de designer pour restaurer ce lieu afin d’en faire un musée sur la douleur et la violence que mon père a causé à la société. »

(*) En France, le taux d’homicides est inférieur à 1/100 000 habitants.

« NOUS NE VOULONS PLUS ÊTRE STIGMATISÉS »

Pourquoi avoir décidé de détruire l’immeuble Mónaco ?

De plus en plus de touristes viennent découvrir les lieux qui représentent Pablo Escobar. L’immeuble Mónaco n’est pas seulement un bâtiment. C’est tout un symbole. Celui d’une époque pleine de douleur et de peur. Un symbole de l’illégalité qui doit tomber.

Qu’allez-vous y mettre à la place ?

Un mémorial en l’honneur des victimes et des héros de l’époque du narcoterrorisme. Nous voulons créer des lieux qui remettent à leur place les vrais protagonistes de l’histoire, être conscients de qui a causé toute cette douleur et comment, pour que jamais cela ne se répète.

Saviez-vous que son fils, Juan Pablo Escobar, offre ses services d’architecte et de designer gracieusement pour le rénover ?

Nous ne le savions pas. Mais pour des raisons techniques et économiques, il sera détruit. Cela coûtera dix fois moins cher que de le rénover.

Que pensez-vous des « narco tours » ?

C’est très triste. On n’y parle pas des victimes, de tous ces policiers assassinés, des 111 passagers morts dans l’explosion de l’avion d’Avianca entre autres. Le minimum que j’ai demandé, en tant que maire de Medellin mais aussi comme simple citoyen, c’est que l’on respecte notre douleur.

Pensez-vous en finir avec eux ?

Nous devons être réalistes. Ce business ne va pas prendre fin. Mais nous travaillons à proposer une alternative. Si les gens veulent connaître cette époque, nous pouvons leur raconter d’un autre angle de vue. Le problème, c’est qu’il n’y a pas aujourd’hui un tour qui raconte l’autre face de l’histoire, nous devons le faire, en tant qu’institution.

Pourquoi autant de films et de séries sur Pablo Escobar ?

C’est une histoire fascinante, il faut le reconnaître. Il y a de l’adrénaline, des fêtes…. Ces récits donnent l’impression que la vie de Pablo Escobar était un film d’action. Ce qui est dangereux, c’est que ce personnage devient une fiction, en laissant de côté toute la souffrance qu’il a causée. Si on l’oublie, il peut facilement s’ériger en modèle pour les jeunes. On ne peut pas laisser faire ça. Cela dépeint aussi une ville qui n’existe plus. Nous sommes fiers de ce que nous avons réussi car nous nous en sommes sortis. Cela nous a coûté beaucoup.

Que représente la comuna 13 aujourd’hui, célèbre autrefois pour ses tueurs à gages ?

C’est le symbole de la résilience. Il y a des artistes, des entrepreneurs, des personnes talentueuses. Nous y avons fait un travail d’accompagnement à la communauté. Nous y avons investi du point de vue social, offert des opportunités pour ses habitants, ramené la force publique. C’est un endroit qui mérite d’être connu du monde. Nous en sommes fiers.

Quel rôle ont joué les bibliothèques et le Metrocable dans les comunas ?

Le premier obstacle au développement de ces territoires était l’isolement et l’absence de présence de l’Etat. Le metrocable, c’est du gain de temps pour les déplacements, c’est reconnecter ces quartiers à la ville. C’est plus d’équité. Les bibliothèques ont apporté un autre espace aux enfants et aux jeunes, l’éducation, l’ouverture sur un autre monde, d’autres valeurs. Comme l’honnêteté, la légalité, l’empathie.

Combien de victimes y a-t-il eues à cette époque ?

Ce fléau du narcotrafic a laissé plus de 20 000 morts et une infinité de victimes directes et indirectes dans tout le pays. Dans notre ville, on compte 5500 victimes en lien avec le cartel de Medellin entre 1989 et 1993. Ça, c’est juste pour les cartels. L’année la plus violente dans l’histoire de notre ville a été 1991, où nous avons compté 7 273 crimes. Nous étions la ville la plus violente du monde, le taux d’homicides était de 266 pour 100 000 habitants. Tout ça, nous en avons souffert. Nous ne voulons plus être stigmatisés. Chaque fois que quelqu’un fait allusion à notre ville en se référant à ce passé violent, la blessure se réouvre. La vie à Medellín est très différente aujourd’hui. Dans bien des domaines, elle peut être un modèle pour le monde entier.