Éthiopie, Zimbabwe. À qui profitent les attentats contre les pouvoirs en place ?

Le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, et le président zimbabwéen, Emmerson Mnangagwa, ont tous les deux été visés par des attentats samedi 23 juin. Pour cet éditorialiste burkinabé, ces dirigeants récemment arrivés au pouvoir, doivent poursuivre les réformes d’ouverture engagées.

À quelques heures d’intervalle, l’Éthiopie et le Zimbabwe ont vécu, samedi 23 juin, les mêmes scènes d’horreur. En effet, alors que des dizaines de milliers d’Éthiopiens étaient amassées sur la place Meskel au centre de la capitale Addis-Abeba pour écouter et soutenir le tout nouveau Premier ministre, Abiy Ahmed, qui prononçait, pour la première fois, un discours public depuis sa prise de fonction [fin mars], un homme a lancé une grenade dans la foule.

Le bilan provisoire de cette attaque fait état de 2 personnes tuées et de 150 autres hospitalisées dont 8 dans une situation grave, à en croire le ministre éthiopien de la Santé.

Au Zimbabwe, le chef d’État a échappé à l’explosion

Quelques heures plus tard, plus au sud, au Zimbabwe, dans la deuxième ville du pays, Bulawayo, c’est une autre attaque qui intervenait en plein meeting électoral du président Emmerson Mnangagwa [en poste depuis novembre]. Si le chef d’État a échappé à l’explosion, on déplore cependant plusieurs victimes [au moins un mort et une cinquantaine de blessés], y compris parmi les officiels et les membres du gouvernement. En pareilles circonstances, la question que l’on se pose est la suivante : à qui profite le crime ?

En Éthiopie, deux hypothèses sont privilégiées. La première attribue l’attentat aux anciens maîtres du pays, c’est-à-dire l’élite tigréenne qui s’est juré de faire tomber Abiy ou, à tout le moins, de rendre son gouvernement inefficace.

L’actuel chef du gouvernement éthiopien est, en effet, issu du groupe communautaire oromo (35 %) qui était en conflit ouvert avec celui des Tigréens qui, depuis [la fin de la guerre civile en] 1991, détenaient tous les leviers du pouvoir, en particulier sécuritaire, militaire et économique. Pour rappel, les Tigréens, c’est cette minorité ethnique (6 % de la population) qui était parvenue à chasser du pouvoir le dictateur Mengistu, vers les années 90. Depuis, ils exerçaient leur hégémonie sur la coalition au pouvoir, le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF).

En Éthiopie, ne pas céder à la peur

Les rivalités entre les deux communautés ont été à l’origine d’épisodes sanglants, comme celui de décembre dernier où le projet d’extension de la capitale sur fond d’accaparement des terres des populations oromo, avait suscité des contestations réprimées dans le sang.

La difficile accession à la primature, en mars 2018, après d’interminables négociations, d’Abiy Ahmed, a marqué la fin de l’hyperpuissance tigréenne. Cette fin n’est pas, pour autant, synonyme d’enterrement de la hache de guerre, tant les ressentiments sont encore profonds et le désir des Tigréens de s’accrocher à leurs privilèges, encore tenaces.

Mais la piste d’une revanche de l’élite tigréenne est peu probable, selon les spécialistes qui estiment que si tel avait été le cas, l’attaque aurait été plus professionnelle et plus dramatique.

La seconde hypothèse est celle qui pointe un doigt accusateur sur un groupe de desperados, c’est-à-dire des gens mécontents des réformes engagées par le nouveau Premier ministre. Entre autres, le rapprochement avec l’ennemi juré de tous les temps, en l’occurrence le voisin érythréen, la réforme du système sécuritaire et surtout la libéralisation de pans entiers de l’économie.

Dans l’un ou l’autre cas, ce qui semble visé, ce sont les réformes entreprises par le nouveau chef du gouvernement.

Mais Abiy Ahmed ne devrait pas céder à la peur car si ses adversaires ne peuvent pas agir à visage découvert, c’est bien la preuve que leurs mobiles ne peuvent se défendre sur la place publique.

L’Éthiopie qui ressemble, en Afrique, à un colosse aux pieds d’argile, ne peut asseoir sa stabilité que dans un environnement sous-régional pacifié et surtout avec un partage équilibré du pouvoir et des richesses dans un pays où les monstres de “l’ethnicisme” ne dorment que d’un œil. Et c’est en cela que la politique du Premier ministre mérite du soutien.

Au Zimbabwe, un prétexte pour opérer des purges ?

Quant au cas zimbabwéen, alors que les coupables semblent tout désignés, en l’occurrence les partisans de l’ancien dictateur déchu, Robert Mugabe [au pouvoir entre 1980 et 2017], avec en tête sa femme, Grace Mugabe, il n’en est pas moins complexe.

L’attentat a eu pour théâtre d’opérations la ville de Bulawayo, bastion de l’opposition, mais surtout la région de la communauté ndebele qui a fait, dans les années 80, l’objet d’une terrible répression [opération Gukurahundi] qui s’était soldée par des dizaines de milliers de morts sous le commandement à l’époque d’Emmerson Mnangagwa. Il n’est donc pas exclu que les populations de cette partie du pays aient voulu faire rendre gorge au président, candidat à sa propre succession [lors de l’élection prévue le 30 juillet].

Il n’est cependant pas impossible non plus, comme il se susurre, que le tombeur de Robert Mugabe [avec l’aide de l’armée] ait planifié cet attentat contre lui-même, pour d’une part, bénéficier de la sympathie de l’opinion nationale et internationale qui n’est pas forcément acquise à sa cause, et d’autre part, pour se donner surtout un prétexte pour opérer des purges contre ses ennemis politiques.

Contre une nouvelle présidence à vie

Cela dit, quels que soient les auteurs et les mobiles de cet attentat, celui-ci vient rappeler que la déchéance de Mugabe n’a pas suffi à transformer entièrement la nature du Zimbabwe né à l’ombre de la guerre [d’indépendance, obtenue des Britanniques en 1980] et qui reste encore entre les mains des vétérans de guerre [du parti au pouvoir, la Zanu-PF]. Pour tout dire, le Zimbabwe reste une démocratie militaire.

En tout état de cause, cet incident constitue un sérieux coup de semonce pour Emmerson Mnangagwa qui aurait tort de se replier sur lui-même dans un régime répressif, mais qui a plutôt tout intérêt à œuvrer à l’avènement d’une vraie démocratie et d’une véritable réconciliation nationale.

Il doit surtout œuvrer à éviter de reproduire le long règne de son prédécesseur, car tous ces signes de mécontentement tendent à montrer que s’il se laisse gagner par la tentation d’un pouvoir à vie, sa présidence risque d’être tout sauf un fleuve tranquille.