Au Congo, Moscou joue la carte militaire

La conclusion d’un accord entre Moscou et Brazzaville pour envoyer 200 experts militaires russes en République du Congo, est un pied de nez à l’égard de l’ex-puissance coloniale française, juge ce journal moscovite.
La conclusion d’un accord entre Moscou et Brazzaville pour envoyer 200 experts militaires russes en République du Congo, est un pied de nez à l’égard de l’ex-puissance coloniale française, juge ce journal moscovite.

Au Congo, les experts militaires de la Russie dispenseront des formations sur l’exploitation du matériel d’origine russe et soviétique présent dans l’armée congolaise [blindés, hélicoptères, artillerie]. “Il s’agit de spécialistes chargés de l’entretien de ces équipements militaires pour qu’ils puissent être utilisés de manière adéquate”, a déclaré Dmitri Peskov, porte-parole du président russe, à l’agence de presse Ria Novosti.

Ce contrat, signé au Kremlin en présence des présidents des deux pays [Vladimir Poutine et Denis Sassou-Nguesso] pour l’envoi de militaires russes en République du Congo, a été conclu le 23 mai. Le nombre de conseillers déployés ne devrait pas dépasser les 200 hommes. Une partie d’entre eux seront des techniciens civils envoyés par les constructeurs et sociétés d’export.

Le pragmatisme du président congolais

Le président congolais, malgré son âge [75 ans] (il a côtoyé le président russe Brejnev) et son passé communiste, n’est pas dénué de pragmatisme. En 1991, lorsque, pour des raisons évidentes [chute de l’Union soviétique], le Congo a brusquement perdu tout soutien économique et militaire de la part de l’URSS et de Cuba, il a immédiatement aboli le marxisme et annoncé la transition vers le pluripartisme et l’économie de marché.

Puis il s’est rendu aux États-Unis et a obtenu un crédit auprès du Fonds monétaire international. Aujourd’hui, ce n’est pas l’idéologie qui change, mais le rapport de forces global. L’époque où le “milliard doré” [expression post-soviétique pour désigner les pays développés occidentaux] faisait des avances aux Africains en leur proposant des crédits sans contrepartie est bien révolue.

On voyait alors l’Afrique comme une gigantesque bombe à retardement qui risquait de faire exploser la planète si on ne nourrissait pas le continent de toute urgence et si on n’y faisait pas le ménage. Ménage qui impliquait généralement de distribuer de l’argent – une méthode inefficace, mais appréciée des élites dirigeantes africaines. Aujourd’hui, la distribution de bonbons n’est plus d’actualité, et les métropoles ne se bousculent pas pour soutenir leurs anciennes colonies.

Des blindés modifiés pour le climat tropical

Pour ce qui est du Congo, la France n’a même pas fait mine d’aider son ex-colonie, ce qui a contraint Denis Sassou-Nguesso [au pouvoir depuis 1979, avec une interruption de 1992 à 1997] d’user de méthodes originales dans les périodes d’intensification d’une guerre civile sans fin [dans les années 1990]. En 1997, par exemple, il a dû demander l’intervention militaire de son allié voisin l’Angola pour écraser une révolte.

Sachant cela, il est tout à fait légitime de demander une assistance militaire à une puissance qui se montre prête aujourd’hui à assister un certain nombre de pays africains : la Russie. Pour autant, Sassou-Nguesso a attendu de voir les résultats de la coopération entamée par Moscou avec d’autres pays du continent : la République centrafricaine, l’Angola, le Mozambique et le Burundi. Et pour l’instant encore, il n’est pas question de réelle présence militaire russe au Congo, seulement de la vente de matériel militaire et d’armement à l’armée congolaise (il s’agit de blindés – VAB – modifiés pour le climat tropical, d’armes automatiques et de mortiers).

Le “diviser pour mieux régner” de la France

La guerre civile congolaise sans fin est un classique en Afrique noire, où les partis politiques s’appuient sur les tribus, dont les divisions ont été aggravées par la pratique française du “diviser pour mieux régner” – situation que la propagande soviétique qualifiait de “lourd héritage colonial”. Partout où ils passaient (et cela pas seulement en Afrique, mais aussi, par exemple, en Syrie), les Français installaient une élite politico-militaire non pas issue de la majorité ethnique ou religieuse du pays, mais d’une minorité fermée et militarisée. De cette manière, Paris avait l’impression de mieux contrôler ses colonies, alors que dans les faits les Français amorçaient de véritables bombes qui allaient menacer les nouveaux États nationaux indépendants.

Au Congo, ce sont les Mbochis qui constituent cette élite politique et militaire (environ 270 000 personnes, soit 12 % de la population nationale). Le président Sassou-Nguesso, issu de cette communauté, a fait une école d’officier en France puis a “exercé” en Algérie. Durant la guerre d’indépendance [1954-1962], les Français envoyaient exprès en Algérie des bataillons entiers d’Africains, qui ne considéraient pas les Arabes comme des hommes et commettaient des exactions là où les paras blancs et la Légion étrangère ne voulaient plus le faire. De manière générale, Paris a inventé dans les colonies des méthodes d’exactions extraordinairement raffinées.

Le groupe ethnique des Laris (environ 140 000 personnes) représente l’éternelle opposition congolaise. En raison de sa proximité culturelle et linguistique, il est intégré au groupe ethnique des Kongos, qui constitue le gros de la population du pays (près de 48 %).

Face aux Français, aux Chinois et aux Américains

Depuis quinze ans, les affrontements armés ont cessé au Congo. On ne peut donc plus dire que la situation y soit dangereuse ou menace de dégénérer, même si une escalade risque de se produire après le départ de Denis Sassou-Nguesso. C’est pourquoi le gouvernement congolais n’entend pas installer de base militaire russe sur son sol ou accueillir des hommes armés. Ce dont il a besoin, c’est de moderniser son armée.

En 2017, l’armée congolaise occupait la 26e place du classement des armées du continent africain, ce qui n’est pas si mal pour un petit pays. Jusqu’à récemment, le Congo achetait ses équipements principalement aux États-Unis et à la Chine, et Brazzaville parvenait à organiser des entraînements communs tantôt avec les Américains, tantôt avec les Chinois en jouant sur les contradictions entre Washington et Pékin.

Décision au cas par cas

Voilà que Moscou entre dans ce jeu complexe, mais il est trop tôt pour dire si les livraisons russes et la présence de conseillers techniques pourraient faire pencher la balance en notre faveur à Brazzaville. Mais comme les Américains sont pris par des dossiers plus importants et que les Chinois préfèrent l’influence économique, les Russes peuvent parfois prendre l’avantage comme dans le cas de la République centrafricaine.

En attendant, on ne peut pas vraiment parler d’“expansion russe au Congo”, épouvantail agité par les Français. Ce genre d’intrigue est à la mode en ce moment en Afrique. Tout contrat de coopération militaire et technique signé par Moscou avec un pays africain bénéficie d’une couverture médiatique sans précédent dans la presse occidentale. Or les conditions concrètes de ces coopérations diffèrent beaucoup d’un pays à l’autre, l’Afrique n’étant pas un tout homogène. Les principes généraux – comme celui “à la mode” des armes et des conseillers contre des concessions minières – ne sont pas de mise. Tout se décide au cas par cas.